Si je suis au Qatar, c'est pour travailler. Je travaille sur un site industriel, pour la construction et la mise en route d'un ensemble industriel, comme on dit.
Sur cette page, je voudrais vous parler un peu du chantier, et un peu des travailleurs. Les travailleurs que je vois sur mon chantier sont surtout des Indiens et des hommes du sous-continent indien, comme on dit : Pakistanais, Sri-lankais et Bengalis. Il y a aussi des Philippins et quelques personnes dont je ne connais pas l'origine. On repère facilement les Occidentaux, et aussi les Qataris, que je ne vois qu'à la cantine, dans une tenue immaculée*.
Cette page va se remplir doucement dans les semaines qui suivent, selon mon inspiration et peut-être selon les événements.
Bien sûr, Marc dans son excellent document vous explique bien mieux que moi les Qataris, les Indiens et les autres. J'ai avec les Indiens un contact professionnel, puisqu'ils forment l'essentiel des travailleurs sur mon chantier, et aussi l'intégralité de nos chauffeurs. En tant que tintinophile, je suis un peu déçu, car je m'attendais à ce qu'ils s'adressent à moi en disant "Yes Sahib", comme dans "Les cigares du Pharaon" ou dans "Tintin au Tibet". La majorité de ces Indiens viennent du Kerala.
Les Indiens, nous les côtoyons partout, dans la rue, au restaurant, chez les commerçants, avec nos chauffeurs. Et surtout sur le chantier. Ne croyez pas que je fais une fixation sur les Indiens. Je reste très zen, il y a plusieurs semaines que je ne me suis pas énervé. Les Indiens ne raisonnent pas comme nous. Par exemple, je reçois une boîte de 250 rondelles pour monter mes appareils. Le magasinier et son aide vont ouvrir la boîte, puis compter les rondelles pour vérifier que le marchand n'en a pas livré par erreur 249 ou 251. Ensuite ils vont égarer la boîte de rondelles, avec la satisfaction du Devoir Accompli.
Qu'est-ce que les Anglais ont apporté à l'Inde ? Le thé, entre autres choses. On boit beaucoup de thé sur le chantier. La pause-thé est sacrée pour les ouvriers Indiens. Ismail est notre tea boy. Il connaît les préférences de chacun, selon les heures de la journée (café ou thé, avec lait et/ou sucre). Il s'occupe aussi du ménage dans les bungalows du chantier.
Les Indiens sont de grands nettoyeurs. Rien ne résiste à leur coup de balai. Par exemple, je démonte un appareil pour procéder aux réglages et à la mise en service de l'installation. Il est extrêmement probable que l'appareil (neuf) se retrouvera vite dans les balayures et dans la benne à ordures, avec sa boulonnerie (neuve) et ses accessoires de montage (neufs).
Les Indiens ont aussi une extraordinaire capacité à dormir. Il y a quelques semaines j'ai suivi un cours de sécurité sur le site industriel (en Anglais et en Hindi). Je me souviens un peu des différentes sirènes qui pourraient annoncer un incendie ou une fuite de gaz. Mais je me souviens surtout d'une interdiction qui nous a été faite, pour des raisons de sécurité : sur le chantier, il est interdit de dormir sous un véhicule.
Je disais un peu plus haut que beaucoup des Indiens du Qatar et du chantier sont originaires du Kerala.
Leur langue maternelle et aussi paternelle est le Malayalam, une langue dravidienne. On trouve à Doha des journaux imprimés en Malayalam. Le Malayalam s'écrit avec des caractères alpha-syllabiques, différents de ceux des caractères devanagaris utilisés pour écrire l'Hindi (je viens de consulter Wikipedia ). Presque tous parlent aussi Hindi, une langue complètement différente. L'Hindi leur permet de pouvoir communiquer avec les autres Indiens, les Pakistanais (qui parlent Urdu), les Nepalis et les Bengalis. Ils s'expriment aussi en Anglais, avec plus ou moins de facilité, certains avec beaucoup d'aisance verbale. On apprend ainsi quelques expressions de l'Anglais des Indiens. Par exemple, "la même chose" se dit “same-same”.
Ce qui est un peu déroutant au début, c'est leur façon d'opiner de la tête. Pour exprimer un accord, on fait osciller sa tête autour d'un axe passant par l'occiput et le centre du nez, ce qui est plutôt difficile sans entraînement.
Saluons les dispositions linguistiques de ces immigrés. Certains parlent aussi et lisent l'Arabe, et sont ainsi capables de lire trois sortes d'écritures complètement différentes.
A midi, je vais à la cantine du site. Elle est fréquentée par les Occidentaux, les Qataris et les immigrés aisés. Dix-huit Rials, c'est trop cher pour les ouvriers du chantier. A la cantine, on mange et on boit à volonté (mais bien sûr, pas d'alcool et pas de cochon). Comme j'ai été bien élevé et que je finis toujours mon assiette, je limite mon choix à ce que je suis capable de manger. Il y a des plats qui plaisent aux Arabes, aux Indiens, aux Occidentaux, et aux Occidentaux Etats-Uniens. Il ne manque qu'un bon café expresso pour que le plaisir soit complet.
Les ouvriers du chantier vont dans un autre restaurant, plus simple et moins cher. On y sert des plats indiens ou philippins, certainement très bons.
D'autres préfèrent amener leur repas dans une gamelle d'Indien. Les gamelles d'Indien sont d'ingénieux dispositifs en acier inoxydable, avec plusieurs plats emboîtés les uns dans les autres. Une gamelle d'Indien peut comporter jusqu'à cinq étages. Ainsi le biryani, le tandoori et les chapatis ne se mélangent pas mais se tiennent chaud mutuellement.
Nous utilisons des gaz comprimés ou liquéfiés. Ils sont livrés et manipulés par deux personnes de la société qui nous fournit ces gaz. Il y a le technicien et son chauffeur-assistant. Le technicien est un Indien, je crois. Et le chauffeur-assistant me semble être un Afghan.
Jour de paie sur le chantier. Les ouvriers vont être transportés à Doha où ils recevront leur salaire du mois. Et ils se précipiteront dans les agences spécialisées dans le transfert d'argent. Il y en a beaucoup à Doha, qui peuvent transférer toute somme d'argent vers l'Inde, le Pakistan, le Sri-Lanka, le Népal, les Philippines, le Bengladesh... Et sans doute aussi vers l'Europe si quelqu'un le leur demandait.
Dans tous les bâtiments, il y a une salle de prière. Je passe souvent devant celle de la salle de contrôle. La flèche au sol indique la direction de la Mecque. Cette direction est indiquée sur tous les plans du site, tout comme le nord géographique et le nord conventionnel. Une salle d'ablutions jouxte la salle de prières. Les horaires des cinq prières quotidiennes sont indiqués à l'entrée de la salle.