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Prologue
1 : Déménagements
2 : Origines
3 : Vacances en famille  ⇦
4 : La vie d'étudiant
5 : Premiers grands voyages
6 : La vie professionnelle
7 : Voyages personnels
8 : On fait les comptes
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Chapitre 3 : Vacances en famille
Mes parents ont eu leur belle voiture neuve, la Simca P60, et quelques mois plus tard ma petite sœur est arrivée. Nous étions donc la famille idéale de ces glorieuses années, pas nombreuse comme celle des générations précédentes, avec accès aux loisirs et à la prétendue liberté. En compensation d'horaires plutôt chargés et de week-ends d'astreinte pour son travail, mon père disposait d'un peu plus de congés que le minimum légal. Il faut peut-être préciser qu'il n'y avait pas de téléphones portables, et que l'astreinte signifiait rester à la maison, joignable sur le téléphone fixe. Le premier voyage dont je me souviens un peu, c'était au Carnaval de Nice et je devais avoir tout juste six ans. Il y avait bien sûr les confettis, le défilé des chars et les « grosses têtes », mais surtout nous avions mangé des petits personnages en pâte d'amandes, et ça c'était le plus merveilleux.
C'était la mode des pneus de voiture avec les flancs blancs. Si des pneus de ce type existaient dans le commerce, et même comme équipement d'origine sur les voitures de luxe, on trouvait aussi des peintures blanches qui tenaient bien sur le caoutchouc et qu'on pouvait utiliser à moindres frais. Nous avions ainsi peint en blanc les flancs des pneus de la voiture, comme des frimeurs ou des cacous dirions-nous maintenant. Ça faisait peut-être de l'effet, comme les pompes noires et blanches affectionnées par les adeptes de la sape et qu'on associe généralement aux maquereaux.
Avec cette voiture nous emmenions aussi parfois les grands-parents pour une virée du dimanche et un bon restaurant. Comme mon père était fils unique il y avait forcément un biais en faveur des grands-parents paternels. Au restaurant ma grand-mère Augustine donnait toujours un pourboire généreux. Elle savait combien les métiers de la restauration sont difficiles.
Ces grand parents paternels, Augustine et Barthélemy, avaient encore tous les deux de la famille éloignée, des petits-cousins je crois, respectivement dans la province de Bergamo et celle de Belluno dans le nord de l'Italie. Nous sommes allés quelquefois leur rendre visite, quatre adultes et deux enfants dans la voiture, avec des valises sur la galerie de toit. Une fois, dans le village d'origine de mon grand-père, nous avions passé quelques jours chez des amis qui étaient d'anciens émigrés retournés au pays natal. Il y avait aussi une petite fille de mon âge, qui lorgnait sur mon ours en peluche. Au moment de repartir chez nous, mon ours avait disparu, et pour moi c'était le drame absolu, impossible de partir. Après avoir retourné toute la maison, l'ours a été retrouvé caché sous l'oreiller de la petite fille. Tout le monde était soulagé, sauf bien sûr la petite fille. Mes parents lui ont fait parvenir une poupée quand nous sommes revenus en France.
Voilà un autre événement, cette fois dans le village où ma grand-mère avait ses petits-cousins. Il y avait une chienne qui avait une portée de chiots. Nous nous étions approchés pour les voir de près. La chienne, mue par son instinct maternel de protection, s'est jetée sur nous, et précisément sur ma petite sœur. Je crois que mon père a attrapé ma sœur pour la tirer en arrière, mais la griffe de la chienne a quand même entaillé sa paupière inférieure, juste sous l'œil. Les cousins n'avaient pas autre chose que du vinaigre à proposer comme désinfectant, bien que je serais surpris s'ils n'avaient pas eu un peu d'eau-de-vie dans un placard. Il faut peut-être rappeler que l'Italie était encore très pauvre dans les années 60, pauvre et traditionaliste. Les femmes italiennes mettaient un foulard sur la tête pour entrer à l'église et ne sortaient pas sans porter des bas, même en plein été. Et bien sûr elles montaient en Amazone à l'arrière de la Vespa.
Toujours au sujet de ces voyages en Italie, encore une anecdote. Nous passions la frontière au Montgenèvre, au-dessus de Briançon. Il fallait une carte d’identité pour les adultes et le Livret de Famille pour les enfants. Une fois ma mère avait oublié sa carte et on ne l’a pas autorisée à passer. Retourner à La Mure nous aurait fait perdre un jour entier. Sur les conseils du policier français nous sommes allés à la Préfecture à Briançon. L’employée de la Préfecture a dit qu’elle ne pouvait pas faire de carte d’identité, mais que comme nous avions le Livret de Famille elle pouvait faire un passeport pendant sa pause casse-croûte, qu’il y avait un photographe pas loin, et c’est ainsi que le document pour passer la frontière a été obtenu en une heure seulement. Au total peut-être trois heures de perdues, et on se rend compte du progrès accompli en soixante ans, puisqu’il faut de nos jours plusieurs mois pour avoir un passeport, sauf complication.
On allait parfois voir les courses cyclistes, surtout le Tour de France, par exemple au Col du Galibier. Il y avait déjà du monde et une certaine ferveur, mais sans commune mesure avec la fureur fanatique qu'on voit maintenant. Nous avions aussi vu le Championnat de France sur route en 1968, en Ardèche, avec Lucien Aimar comme vainqueur.
Pendant les congés scolaires d'été je passais un peu de temps chez mes grands-parents, une dizaine de jours aux Côtes et autant à la Motte d'Aveillans. Aux Côtes c'était encore la campagne ancienne. Il n'y avait pas le confort moderne. Comme à peu près partout en Matheysine le poêle à charbon restait allumé en permanence, au ralenti la nuit ; il permettait de faire la cuisine et fournissait l'eau chaude pour se laver. Les anciens mineurs recevaient gratuitement une quantité de charbon, je ne sais pas combien. Les commodités étaient à l'extérieur, en dessous du poulailler. Je n'ai pas le souvenir d'avoir dû m'y rendre pendant la nuit. Il n'y avait plus de chèvres, mais toujours des poules et des lapins et aussi quelques « couris », c'est à dire des cochons d'Inde. Je ne sais pas si j'ai eu l'occasion d'en manger aux Côtes (j'en ai mangé plus tard au Pérou). Une ou deux fois ils avaient aussi eu des canards de barbarie, élevés près d'une fontaine-lavoir où ils pouvaient se baigner. Dans un grand chaudron on préparait une pâtée pour les nourrir, avec des pommes de terre, du son de blé, des herbes et je ne sais plus quels ingrédients. Les canetons semblaient se régaler. Aujourd'hui quand je vois un plat bien bourratif, épais et compact, je pense à cette pâtée pour les canards. Aux Côtes le terrain est instable. Beaucoup de maisons avaient reçu des renforts en acier pour éviter la rupture des murs. Il y avait un câble qui maintenait les deux pignons de la grange et on nous interdisait d'accéder à ce bâtiment, par crainte d'un effondrement. Un pied de vigne formait une sorte de treille au-dessus de la porte et donnait quelques grappes de raisin. En ce temps-là on se rendait souvent visite entre voisins, on restait parfois pour la veillée. Je ne comprenais pas grand chose au patois, mais je me sentais bien en les écoutant parler. La promenade traditionnelle, c'était en direction du Serre de la Roche, là où la route départementale 116, dite Corniche du Drac, surplombe le lac de Monteynard. La circulation automobile était alors très réduite, et les soirs d'été on y voyait beaucoup de vers luisants. On achetait peu de chose, en dehors du strict nécessaire, et on n'avait pas grand chose à jeter. Chez Didier et Marguerite il y avait un grand carton rempli de bobines de fil usagées. Il s'agissait de petites bobines en bois qui avaient retenu le fil utilisé par les ouvrières gantières, celles qui cousaient à domicile. Avec ces briques élémentaires je construisait des châteaux-forts que je détruisais ensuite à la catapulte. À La Motte-Saint-Martin a été construite la première piscine de la Matheysine. C'est en effet un endroit bien exposé, à une altitude bien plus basse que La Mure, et surtout un site beaucoup moins venté. Depuis Les Côtes je pouvais y aller par un petit chemin qui a pratiquement disparu aujourd'hui. J'y retrouvais des copains locaux, d'autres venus de La Motte d'Aveillans ou de La Mure, et nous passions l'après-midi à jouer dans l'eau comme le font tous les gamins. Mes cousins venaient aussi quelques jours chez les grands-parents des Côtes, mais je ne me souviens pas que nous sommes restés ensemble. Peut-être avait-on considéré que trois jeunes garçons occasionneraient trop de turbulences.
La Motte d'Aveillans est une petite ville, donc très différente du hameau que sont les Côtes. Il y avait à La Motte plusieurs épiceries, des boulangeries, des boucheries, des magasins de chaussures qui ont tous disparu depuis. Augustine et Barthélemy vivaient dans un confort relatif. Comme aux Côtes on rendait visite aux amis et on se promenait. Il y avait toujours des boulistes sur la Place de la Mairie, Ils pratiquaient le jeu à la Lyonnaise et il y avait parfois des concours importants. J'avais quelques copains mottois. Quand c'était la Vogue, la fête du village, nous donnions un coup de main aux forains pour monter leurs manèges, en échange de quelques tickets gratuits. Je jouais aussi avec ma copine Claudette qui habitait juste en face. Ma grand-mère Augustine avait une obsession pour les apparences vestimentaires et ma mère faisait très attention pour m'équiper sans rapiéçage et surtout sans la moindre touche d'originalité. La conception vestimentaire de cette grand-mère nous a mis en conflit quand je suis devenu adolescent. À part ça elle était très généreuse. Un jour j'ai perdu du côté du Senépy le superbe pullover qu'elle m'avait tricoté. Quelque temps plus tard elle a vu ce pullover sur le dos du petit berger de la montagne. Elle nous a dit, et à nous seulement, qu'elle était très contente que ce soit lui qui l'ait trouvé, et c'était certainement vrai.
D'ailleurs mes deux grand-mères m'ont tricoté un nombre impressionnant de paires de chaussettes, mais aussi des bonnets et des pullovers. On craignait le froid en ce temps-là. Françoise a pris le relais à l'intention de nos petits-enfants, qui eux-mêmes ont appris les bases du tricot.
Comme employé de l'EDF mon père pouvait séjourner avec sa famille dans des camps de vacances, largement subventionnés par EDF et GDF. Il s'agissait de grandes tentes avec de vrais lits et un coin cuisine. Nous somme allés plusieurs fois dans ces camps, où la diversité culturelle était peut-être faible, mais pour nous les enfants c'était l'occasion de changer nos habitudes et de se faire des copains. C'était des séjours de trois semaines, comportant invariablement quelques journées de fête du camp avec des jeux, des sketches et le concours de pétanque. Je me souviens de quelques-uns de ces camps de toile : Sanary, Cavalaire, Sausset-les-Pins sur la côte méditerranéenne, Meschers et La Teste sur l'Atlantique, et aussi Porticcio en Corse. Nous autres les enfants étions la plupart du temps pieds nus, ce qui nous procurait une belle épaisseur de corne sous les pieds dont nous étions très fiers. Ces départs en vacances avec la voiture donnaient lieu à des rituels. Par exemple après Corps, en direction des Hautes-Alpes, juste avant la borne qui indique que nous allons quitter l'Isère, on se disait « Respire un bon coup ». Quand un conducteur un peu lent ralentissait le trafic il était invectivé par « Achète un âne ! » ou quelque chose de similaire. Dans le Champsaur il y avait des gamins qui vendaient des edelweiss au bord de la route. Pour leur donner quelques pièces nous avons souvent acheté des fleurs séchées. Les enfants demandaient aussi une cigarette « pour leur papa » et alors que personne ne fumait chez nous mon père avait acheté un paquet de cigarettes pour en offrir. On peut encore voir de nos jours l’inscription « Edelweiss » sur le linteau de la porte d’une de ces fermes du Champsaur.
J'avais pleinement conscience d'avoir ce privilège de partir loin pendant les congés scolaires. Si aujourd'hui encore il y a des enfants qui n'ont pas cette chance, c'était la règle au début des années 60 pour beaucoup de mes copains d'école. Quelques-uns pouvaient partir en colonie de vacances, et quelques enfants d'immigrés partaient quelques jours au pays d'origine avec leurs parents.
La voiture était toujours très chargée quand nous partions ainsi en vacances. Il faut dire que mes parents ne savaient pas voyager léger et ils s'encombraient de beaucoup de choses, notamment au niveau des vêtements et accessoires. Il n'excluaient pas des intempéries extrêmes, et c'est tout juste s'ils n'emmenaient pas les raquettes à neige quand nous allions l'été à la mer. Je crois bien qu'ils emmenaient nos bottes en caoutchouc.
Plus tard mes parents ont suivi des amis Murois qui allaient régulièrement séjourner l'été en Italie, un peu au nord de Rimini sur la Mer Adriatique. Je les ai suivis pendant quelques années, et j'ai ainsi eu l'occasion de pratiquer la langue italienne que j'avais apprise pendant quatre ans. Déjà à La Mure on trouvait Topolino chez Rousset le marchand de journaux et j'achetais occasionnellement cette version italienne de Mickey et Donald, comme mes parents m'avaient acheté Pif le Chien quand j'apprenais à lire le Français. J'avais ainsi acquis un bon vocabulaire, ce qui était pratique pour se faire des amis italiens. Les hôteliers et restaurateurs, eux, parlaient tous plus ou moins bien le Français et l'Allemand. Les cités balnéaires italiennes sont des usines à touristes, avec des parasols bien alignés sur des plages privatisées. Les premières années j'ai plutôt aimé ces vacances, mais j'ai vite eu besoin de loisirs différents.

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