Lecture audio du
chapitre (encore expérimental et pas mis à jour)
Chapitre 8 : On fait les comptes
Quand j'écris ces lignes j'espère bien que les voyages vont
continuer, au moins à titre personnel et sans contrainte de dates. On
va quand même faire un petit inventaire, une sorte de bilan à l'instant
présent, sans présager du futur. On fera aussi un peu de statistiques.
Il y a un adage, surtout utilisé par les anglophones qui dit :
« Il y a les mensonges, les sacrés mensonges et les
statistiques ». En anglais ça se dit « Lies, damned lies, and statistics » et les experts ne savent pas vraiment à qui attribuer son origine.
Alors pour commencer, combien de pays ? Il faut tout d'abord
s'accorder sur la définition de pays. Nos Départements, Collectivités
et Territoires d'Outre-mer ne sont pas des pays, donc je ne peux pas
compter la Guyane Française ni la Nouvelle-Calédonie. De même je
n'aurais pas pu compter Guernesey qui est en étroite association avec
le Royaume-Uni. Pour ce qui est de Hong Kong et Macao, je dois
malheureusement les abandonner à la Chine, bien que lors de mes
premières visites je n'avais pas besoin d'un visa alors que les Chinois
en avaient besoin. L'Antarctique n'est pas un pays au sens des états et
des frontières, mais je vais quand même le compter comme un pays, et un
seul puisqu'on ne doit pas y reconnaître de revendication territoriale.
Le Somaliland est bien sûr un pays, et si certains ne veulent pas le
reconnaître on dira que je suis allé en Somalie, le compte restera le
même. Donc faisons ce compte, en omettant l'Europe qui n'est pas
vraiment à l'étranger (sinon il faudrait ajouter une vingtaine de pays
où j'ai mis le pied).
Commençons par l'Amérique du Nord. C'est simple, pour moi il y a
seulement deux pays, le Canada et les États-Unis. Ensuite l'Amérique
Centrale, avec trois pays qui sont Panamá, Costa Rica et Nicaragua.
Enfin l'Amérique du Sud avec cinq pays visités, le Brésil, le Chili,
l'Argentine, la Bolivie et le Pérou. On a dit plus haut qu'on ne
compterait pas la Guyane Française, donc seulement cinq pays de ce
continent. Au total pour toutes les Amériques ça fait dix pays.
Passons à l'Asie, où je suis essentiellement allé à titre
professionnel, même si j'en ai profité pour visiter un peu. En listant
les pays plus ou moins depuis l'ouest il y a d'abord la Turquie, puis
l'Arabie Saoudite, le Qatar, les Émirats Arabes Unis (avec Dubaï), et
aussi Oman. Ensuite Le Kazakhstan (avec Baïkonour), le Népal, l'Inde,
le Bangladesh, la Malaisie, Singapour et l'Indonésie (Bali seulement).
En extrême Orient il y a la Chine, les Philippines, Taïwan, la Corée du
Sud et le Japon. Comme expliqué plus haut, on ne compte pas Hong Kong
et Macao et nous arrivons à dix-sept pays d'Asie.
En Océanie je suis allé dans les deux grands pays qu'on appelle parfois
avec fantaisie la Macronésie, c'est à dire l'Australie et la Nouvelle
Zélande (par analogie humoristique avec les autres grandes régions
classiques du Pacifique, Mélanésie, Micronésie et Polynésie). Pour des
vacances je suis aussi allé en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Vanuatu et
aux Îles Salomon. Ce qui fait seulement cinq pays puisque la
Nouvelle-Calédonie est hors-jeu avec son statut de Collectivité
d'Outre-mer.
Passons au gros morceau, c'est à dire pour moi l'Afrique où je suis
seulement allé à titre personnel. Au nord et à l'ouest on compte
l'Algérie, le Maroc et le Cap-Vert. Ensuite les pays de l'Afrique
Australe, c'est à dire l'Afrique du Sud, le Botswana, la Namibie, le
Lesotho, l'Eswatini, le Zimbabwe, la Zambie et le Mozambique. Puis les
pays de l'Est du continent, avec le Malawi, la Tanzanie, le Burundi, le
Rwanda et l'Ouganda. Enfin la Corne de l'Afrique, avec le Kenya,
l'Éthiopie et le Somaliland. On peut chipoter sur ma définition des
grands ensembles géographiques, mais on arrive toujours à dix-neuf pays
d'Afrique.
Nous avons convenu de compter l'Antarctique comme un pays unique. Donc,
j'ai bien recompté plusieurs fois, on arrive à quarante-deux pays hors
d'Europe que j'ai plus ou moins visités. J'ai connu des voyageurs qui
en ont vu bien davantage, et qui les ont bien mieux visités.
Parmi ces pays, dans lesquels suis-je allé professionnellement ?
On peut les lister rapidement, par continent. Il y en a deux en
Amérique du Nord, le Canada et les États-Unis, et aucun plus au sud
puisqu'on ne compte pas la Guyane Française comme un pays. En Océanie
seulement deux pays, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Il sont plus
nombreux en Asie, onze au total, avec la Turquie, l'Arabie Saoudite, le
Qatar, le Kazakhstan, l'Inde, la Malaisie, Singapour, la Chine, la
Corée du Sud, Taïwan et le Japon. On a convenu de rajouter
l'Antarctique, ce qui fait au total seize pays hors d'Europe où je suis
allé pour raisons professionnelles. Toujours rien en Afrique. En
Europe, mais ça ne compte pas, j'ai aussi travaillé dans une douzaine
de pays. Comme chacun de nous a ses préférences, heureusement bien sûr,
je ne vais pas classer ici ces pays selon mes critères personnels.
La sphère est un objet fascinant. Dès qu'elle est mise en rotation elle
acquiert un axe et des coordonnées. On peut alors aborder sa topologie.
Et des questions se posent alors, au sujet de notre globe terrestre.
Comment définir un tour du monde ? Quelles sont les latitudes
singulières traversées par le voyageur ?
Commençons par le tour du monde. La réponse immédiate est « il
suffit de traverser toutes les longitudes ». Cette réponse
convient parfaitement pour les courses en voilier organisées autour du
monde. Les navigateurs partent d'Europe et vont contourner les
continents de l'hémisphère sud. Mais que penser d'un tour qui reste
confiné à l'hémisphère nord ? Si depuis la France on file vers la
Mer Baltique, on traverse la Russie dans toute sa longueur jusqu'au
Détroit de Béring, puis on passe en Alaska, on traverse le Canada et
enfin l'Atlantique Nord pour revenir en France, est-ce vraiment un tour
du monde ? Plus extrême, si on file plein nord jusqu'à quelques
mètres du Pôle (là ou passe l'axe de notre globe terrestre), pour faire
le tour de ce point et revenir plein sud chez nous, est-ce un vrai tour
du monde ? C'est à peu près ce que j'ai fait, mais au Pôle Sud.
J'ai fait le tour du poteau qui marque la position du pôle, en prenant
large parce que la glace, qui fait trois kilomètres d'épaisseur, se
déplace en surface de plusieurs mètres chaque année, et le poteau se
déplace avec elle. On n'avait pas encore de système GPS sur soi en 1981.
Sous des latitudes moins extrêmes, ai-je fait un tour du monde ?
Certainement pas en un seul voyage. D'ailleurs il y a des longitudes où
je suis très peu allé, celles entre l'Océanie et l'Amérique du Nord,
c'est à dire une bonne partie de l'Océan Pacifique. J'ai seulement
survolé ces longitudes quand les avions européens ne passaient pas sur
le territoire de l'URSS et qu'on se rendait à Tokyo en volant au-dessus
du Groenland et du Canada, avec une escale en Alaska avant de traverser
le Pacifique Nord. Je suis donc allé au Japon par la voie occidentale
et plus tard par la voie orientale, c'est à dire que sur le très long
terme j'ai fait un tour du monde à partir de Tokyo, avec des détours
dans l'hémisphère sud. Mais je reste encore dubitatif sur la validité
d'un tour du monde en avion.
Admettons que je suis passé sur toutes les longitudes. Qu'en est-il des
latitudes ? Je ne suis pas un homme du Nord. Je ne suis jamais
allé au-delà de 60 degrés de latitude nord, c'était un peu au nord de
Stockholm et seulement en décembre 2023. Les circonstances ont fait que
je suis allé au Sud ultime, le Pôle Sud de la Terre. Si on ne valide
que les trajets par mer ou par terre, alors je suis allé en bateau
jusqu'à la station antarctique de Casey et de là un peu plus au sud en
véhicule à chenilles. C'est ballot, il manquait seulement quelques
kilomètres pour atteindre le Cercle Polaire Antarctique, à
66,56 degrés de latitude sud.
Par voie terrestre ou maritime j'ai franchi l'équateur et les
tropiques. Pour l'équateur c'était en autobus en Ouganda et au Kenya,
mais aussi en bateau sur le Lac Victoria pour me rendre aux Îles Ssese.
Le Tropique du Capricorne, celui de l'hémisphère sud, nous l'avions
passé pour la première fois au Brésil du côté de São Paulo et plus tard
je l'ai passé de nombreuses fois en Namibie et au Botswana, souvent
avec Françoise, parfois avec la photo souvenir à côté de la pancarte.
Je l'ai passé également au Mozambique, et aussi au Chili, pas loin du
Désert d'Atacama. J'ai passé le Tropique du Cancer dans le Sultanat
d'Oman, plusieurs fois, seul ou avec Françoise, et je l'ai passé aussi
en autobus entre Kolkata en Inde et Dacca au Bangladesh. Je m'en suis
seulement approché à Taïwan. En cherchant bien sur la carte je me rends
compte qu'il reste plusieurs bandes étroites de latitude où je ne suis
jamais passé par voie terrestre ou maritime. On ne va pas les détailler
ici.
Pour en finir avec ce passage de géographie topologique, parlons un peu
des antipodes. Les Antipodes de Grenoble sont au large des Îles
Chatham, en Nouvelle-Zélande, dans l'Océan Pacifique. Je ne m'en suis
pas approché. En regardant avec soin sur le globe terrestre, j'ai
certainement été sur deux points antipodaux, l'un étant entre Tanger et
Casablanca, et l'autre dans le nord de la Nouvelle-Zélande. Françoise
partage avec moi cette particularité géographique. Il y a aussi des
points antipodaux pour moi entre le Chili et la Chine. On se rend
compte que l'Océan Pacifique est vraiment immense et que les terres
émergées représentent bien peu de notre planète bleue.
Au niveau des altitudes, je suis resté très loin des extrêmes de notre
planète. Je ne suis jamais monté plus haut que le Cerro Rico, en
Bolivie, dont le sommet est un peu plus bas que le Mont-Blanc. On est
loin des géants de l'Himalaya et du Karakoram. J'ai vu de loin
l'Everest et surtout le Kangchenjunga depuis Darjeeling. J'ai admiré le
Kilimandjaro en Tanzanie, survolé l'Aconcagua et vu de loin le Denali,
qu'on appelait encore le Mont McKinley. Mais je n'ai pas connu ces
hautes altitudes. Le point le plus bas a été Badwater dans la Vallée de
la Mort, en Californie, à quatre-vingt-six mètres sous le niveau de la
mer, vraiment très loin du niveau de la Mer Morte. Dans la dépression
de Turfan, en Chine, j'étais aussi passé par des altitudes négatives.
Étant donné que je me suis toujours intéressé à la géographie, j'aime
bien les fleuves. Il y a des noms qui font rêver, comme le Mékong,
l'Amazone, le Nil, le Mississippi, le Rio Grande ou le fleuve Congo. On
les connaît par des films, des documentaires, des livres d'aventure,
des chansons, et pour certains par les mots-croisés. J'ai eu la chance
de voir et de franchir quelques-uns de ces grands fleuves. Avec
Françoise nous avons traversé le Saint-Laurent, au Québec. En Louisiane
j'ai vu et traversé le Mississippi, du côté de Baton Rouge. J'ai
franchi le Nil Bleu en Éthiopie et le Nil Blanc en Ouganda. En Éthiopie
j'ai aussi traversé sur une pirogue le fleuve Omo, célèbre chez les
paléoanthropologues. J'ai franchi le Zambèze à plusieurs reprises, à
pied sur le pont entre la Zambie et la Namibie, à pied également juste
en aval des chutes Victoria entre le Zimbabwe et la Zambie, et aussi en
minibus au Mozambique. Je l'ai aussi traversé en ferry à Kazungula,
entre la Zambie et le Botswana, c'était avant la construction du pont.
En Asie j'ai traversé plusieurs bras du Gange, sur un pont en Inde, et
en ferry pour le plus large au Bangladesh. En Chine le Yangtsé et le
Fleuve Jaune, par la route ou la voie ferrée. Et en Papouasie le fleuve
Sepik, sur une pirogue creusée dans un tronc d'arbre et artistiquement
sculptée. On peut ajouter à cette liste le Po, le Danube, le Rubicon,
le Tigre et l'Euphrate, la Romanche ou la Yarra, mais il manque
beaucoup de ces fleuves mythiques, l'Amazone, le Niger, le Congo, le
Mékong, le Colorado, les grands fleuves d'Amérique du Sud et de la
Sibérie.
On va parler aussi un peu de transports. J'ai pas mal circulé en
voiture, en voyage avec Françoise ou en déplacement professionnel. Pour
mes vacances individuelles j'ai surtout pris les transports en commun
locaux, souvent les petits taxis collectifs et minibus qu'on trouve en
Afrique et ailleurs. Selon les tolérances admises dans le pays, on peut
mettre jusqu'à deux fois plus de monde dans un véhicule que ce qui est
prévu par le constructeur, voire davantage. J'ai été particulièrement
serré dans des minibus au Somaliland et au Mozambique. Plusieurs fois
le conducteur et son assistant ont changé les plaquettes de frein juste
avant d'aborder une descente périlleuse : bonne initiative. J'ai
aussi beaucoup voyagé sur le plateau à l'arrière de camionnettes, ou
dans la benne de camions en Papouasie. C'est bien plus marrant qu'un
véhicule de luxe, même si les pannes sont fréquentes. Un de mes grands
plaisirs a été de faire quelques kilomètres dans une Peugeot 404 en
Éthiopie.
J'ai bien sûr voyagé en train. Je connais quelqu'un qui est passionné
de trains et qui est au courant des détails mécaniques des locomotives
du monde entier ou presque. Pour ma part j'ai pris le train quand
c'était le moyen le plus simple de se déplacer, ce qui n'est pas
toujours évident pour un visiteur étranger, y compris chez nous. Dans
les pays occidentaux ou en Extrême-Orient les trains sont modernes et
par conséquent sans caractère insolite. J'ai quelques souvenirs plus
intéressants du train entre Chillán et Santiago, au Chili, et aussi du
petit autorail qui relie Tacna au Pérou et Arica au Chili. J'ai une
réminiscence impérissable du vieux train qui relie Dire Dawa et
Guelile, à la frontière avec Djibouti, en Éthiopie, que j'ai pris deux
fois, aller et retour. J'ai également pris deux fois le train entre
Nampula et Cuamba au Mozambique. Les arrêts dans les villages, les
vendeuses de casse-croûte et souvent même les voyageurs sont une fête
pour les yeux et aussi pour les oreilles. En Afrique j'ai aussi pris le
train entre Windhoek et Keetmanshoop, mais la Namibie est un pays trop
riche ou trop civilisé pour apporter le même plaisir pittoresque au
visiteur. Avec Françoise nous avions aussi pris le train entre Tanger
et Casablanca quand nous étions allés au Maroc pour voir son frère et
sa famille à Noël 1976.
J'ai aussi voyagé en train en Inde. Sur certaines lignes les wagons
sont bondés, il y a certainement trois fois plus de monde que ce que le
wagon peut raisonnablement contenir de voyageurs debout. De plus, pour
éviter que les gens ne rentrent par les fenêtres, elles ont été fermées
avec des barres de fer soudées. Il reste dans chaque wagon une
minuscule issue de secours qui n'a pas été condamnée. On n'ose pas
imaginer ce qui arriverait en cas d'accident. J'en frissonne encore.
Pour en terminer avec les trains, j'aurais aimé prendre une ligne de
chemin de fer légendaire, celle de Tintin dans « Le Temple du
Soleil », au Pérou. Quand j'étais au Panamá je n'ai pas eu de
chance en allant visiter Colón, le train ne circulait pas ce jour-là et
j'ai dû prendre l'autobus. Cette petite ligne de train historique relie
le Pacifique et l'Atlantique à travers la forêt tropicale.
Je vais aussi parler rapidement de transports maritimes. J'aurais voulu
faire un grand voyage sur un cargo, mais hélas ce n'est pas vraiment
économique, même si on dispose de beaucoup de temps. J'ai quand même
fait quelques excursions en mer ou en eau douce. Je vais laisser tomber
la plupart des petites virées touristiques côtières, et aussi celles
qu'on fait par exemple sur la Rivière Chobé pour voir les éléphants et
les hippopotames. Je passerai aussi sous silence les bacs ou
traversiers sur un bras de fleuve d'une centaine de mètres.
Mon plus grand voyage en mer a été celui entre la Tasmanie et
l'Antarctique, dans le Grand Sud, entre les 40èmes et les 60èmes. J'en
ai parlé dans un chapitre antérieur. Mes autres voyages en bateau sont
bien plus modestes.
En Amérique du Nord je suis allé depuis Vancouver sur plusieurs îles,
dont bien sûr Vancouver Island. Au Panamá j'ai visité un tout petit peu
l'archipel Bocas del Toro, et toujours en Amérique Centrale au
Nicaragua j'ai navigué sur le Rio San Juan et le Rio Escondido, et
aussi à travers les méandres de la mangrove entre Bluefields et Laguna
de Perlas. Je suis aussi allé, à la journée, sur une de ces petites
îles appelées Cays au large de Laguna de Perlas. Enfin, toujours au
Nicaragua, je suis allé pour quelques jours sur l'île d'Ometepe, au
milieu du Lac Nicaragua, qu'on appelle aussi Lac Cocibolca, et qui est
le plus grand lac d'Amérique Centrale. En Amérique du Sud j'ai pris un
bateau pour aller sur l'Île du Soleil, sur le Lac Titicaca. On y croise
les garde-côtes et la Marine bolivienne. Pour aller sur l'Île de Chiloé
on doit aussi prendre le bateau ou plutôt le ferry. Par ailleurs pour
aller vers le sud du continent il faut traverser un détroit d'environ
cinq kilomètres et donc prendre un ferry afin d'accéder à la Terre de
Feu. Sur la Carretera Austral il y a aussi plusieurs passages de
rivière sur un ferry, mais de modeste largeur. Enfin j'ai aussi pris un
bateau entre Ushuaia en Argentine et l'Île Navarino qui est chilienne,
environ huit milles nautiques ou quinze kilomètres. Pas vraiment de
longues distances en bateau aux Amériques.
En Afrique nous sommes d'abord allés depuis le port de Sète, en France
jusqu'à Tanger, au Maroc, à travers la Méditerranée. Nous avons voyagé,
Françoise et moi, entre plusieurs îles du Cap-Vert et je suis allé à
Zanzibar depuis Dar es Salaam, en Tanzanie. J'ai aussi utilisé le
bateau sur le Lac Malawi, depuis Cobué au Mozambique vers les Îles de
Likoma et Chizumulu, puis vers Nkhata Bay au Malawi. Sur le Lac
Victoria en Ouganda je suis allé depuis Entebbe jusqu'aux Îles Ssese.
Plus anecdotiquement j'ai fait des excursions courtes sur les lacs
Tanna, Ziway et Hawassa en Éthiopie.
Passons à l'Asie. Je crois que le plus long voyage maritime a été celui
fait avec Françoise entre Mascate et la Péninsule de Mussandam qui
appartient à Oman. C'était sur un navire rapide, qui dépassait les
quarante nœuds. Nous avons donc passé le Détroit d'Ormuz pour aller
jusqu'à Khasab. Sur la Péninsule nous avons fait une belle promenade en
mer sur un bateau traditionnel. Plus à l'est, en Inde, on prend le
bateau pour se déplacer entre différents quartiers de Kochi. J'ai aussi
franchi le Gange au Bangladesh, sur un ferry qui transportait
l'autobus, là où le fleuve a une largeur de quatre kilomètres. Encore
plus à l'est, j'ai pris le bateau régulier entre les îles de Cebu,
Bohol et Negros, aux Philippines, sans oublier la belle excursion sur
une petite île riche en faune sous-marine. Toujours plus à l'est, à
Hong Kong, je suis allé sur plusieurs îles du territoire, et aussi
jusqu'à Macao, sans compter les nombreuses traversées du Victoria
Harbour avec le Star ferry. Enfin au Japon je suis allé sur deux des
petites îles au large de Himeji.
Pour terminer avec les transports maritimes, passons à l'Océanie. En
Papouasie-Nouvelle-Guinée j'ai voyagé en bateau pour me rendre entre
Madang et l'île de New Britain, puis en plusieurs points de cette île,
puisque les routes ne relient pas toutes les régions. J'avais fait la
connaissance de volontaires humanitaires autrichiens qui étaient
installés à Wewak, et ils m'avaient emmené avec leur hors-bord pour une
journée sur une petite île inhabitée, mais je ne peux pas compter ça
comme du voyage maritime. Au Vanuatu j'ai aussi pris le bateau entre
plusieurs îles, et de même aux Îles Salomon, avec aussi un peu de
navigation sur le grand lac de l’Île Rennell. En Nouvelle-Zélande, avec
Françoise nous avons passé plusieurs fois le Détroit de Cook, entre
l'île du Nord et l'île du Sud. Ces deux îles sont aussi appelées,
respectivement, l'Île Fumante et l'Île de Jade. Plus au sud nous avons
passé le Détroit de Foveaux entre l'Île du Sud et l'île Stewart. Au
retour, j'en ai parlé précédemment, nous sommes revenus dans un petit
avion parce que la mer était trop forte pour le ferry catamaran. Enfin,
en Australie, il y a essentiellement mon grand voyage aller et retour
entre la Tasmanie et l'Antarctique sur des navires danois renforcés
pour la glace. On va négliger la promenade touristique dans la Baie de
Sydney.
Juste pour la petite histoire, je me suis essayé à la pirogue, avec
balancier au Vanuatu et sans balancier aux Îles Salomon, en mer et par
temps très calme.
Ma paire de sandales fétiche m'a accompagné dans la plupart de ces
pays. Je l'avais achetée en 2002 en Nouvelle-Zélande, donc elle n'est
pas allée au Maroc, ni au Brésil, ni au Cap-Vert. Depuis leur achat,
ces sandales ont été réparées de nombreuses fois, en Inde, en Chine, au
Swaziland et dans d'autres pays. Elle ont eu droit à un ressemelage
complet au Lesotho, au Qatar, aux Philippines, en Afrique du Sud, en
Éthiopie, une teinture au Nicaragua, des ressemelages partiels au
Botswana et au Kazakhstan… J'en oublie certainement. J'ai souvent mis
ces sandales en valeur sur mes photos de baignade, où on les voit au
premier plan.
En parlant de baignade, je me suis baigné dans beaucoup de mers et
d'océans, et aussi dans des lacs et des fleuves. Je ne vais pas en
faire une liste exhaustive. En dehors des régions plutôt chaudes on
peut citer la côte namibienne, le Chili et le nord de la Californie où
les courants froids se font bien sentir, et donc peu de gens sont assez
téméraires pour aller dans l'eau. Près de l'Université de Vancouver il
y a une petite plage, avec une pancarte « Clothing is optional ».
Je me suis aussi baigné en Afrique dans le Lac Malawi, le Lac
Tanganyika et le Lac Kivu, et de même dans le Lac Tegano sur Rennell
aux îles Salomon. On peut aussi citer la baignade dans le lac de
cratère du volcan Cerro Chato au Costa Rica et celle dans le Lac
Nicaragua. Il y a eu aussi la trempette dans le Lac de Van, très
alcalin, en Turquie. J'ai un petit regret de ne pas avoir tâté l'eau du
Lac Titicaca.
En dehors de la nourriture et du logement, il y a des services plus
occasionnels qui peuvent devenir indispensables. Par exemple il y a le
coiffeur. Habituellement c'est Françoise qui me coupe les cheveux, mais
en cas de séjour prolongé je lui fais cette infidélité d'aller chez un
coiffeur professionnel. En suivant la liste des continents dans le même
ordre que précédemment, je suis allé chez un coiffeur ou une coiffeuse
en Colombie-Britannique, au Texas, au Nicaragua et au Pérou pour les
Amériques. Au Botswana, en Namibie, au Eswatini et au Zimbabwe en
Afrique Australe, et aussi en Éthiopie, en Ouganda et au Somaliland en
Afrique de l'Est ou dans la Corne de l'Afrique. En Asie je suis allé
plusieurs fois chez le coiffeur au Qatar, en Turquie, au Japon et en
Chine, y compris une fois à Hong Kong et à Macao, et aussi en Inde, à
Taïwan, en Malaisie et en Corée du Sud. Pour l'Océanie mes dépenses
capillaires se limitent à une seule séance de coiffure à Cronulla dans
la banlieue de Sydney.
Un autre service occasionnel est le médecin. J'ai eu la chance de ne
jamais avoir eu d'affection grave. Néanmoins j'ai du consulter, assez
rarement, les hommes ou les femmes de l'Art. Au Vanuatu je me suis
retrouvé dans un état très nauséeux, peut-être avais-je bu de l'eau
impropre à la consommation. Je suis donc allé au dispensaire local, où
l'infirmier, qui semblait bien connaître son affaire, m'a donné
quelques cachets efficaces. De même en Papouasie, du côté de Rabaul je
me suis retrouvé dans un état similaire, sans doute après avoir mangé
un plat du marché local, une sorte de bouillie enveloppée dans une
feuille de bananier. J’étais tellement barbouillé que j'ai pu manger
seulement quelques biscuits en trois jours, mais sans jamais gerber. Je
suis donc allé à l'hôpital local où on m'a fourni deux cachets qui ont
eu un effet presque immédiat. Pour faire bonne mesure on a aussi
insisté pour me donner un traitement contre le paludisme, alors que je
prenais régulièrement ma dose de médication préventive. Enfin en
Turquie, pendant mon travail au sud d'Ankara, j'ai reçu une giclée
d'huile industrielle dans l'œil. Comme c'était très douloureux je suis
allé me faire soigner à l'hôpital local, où on a pris soin de mon œil
avec des collyres et une lentille de contact comme couche temporaire de
protection. Après quelques jours de vision floue, tout est redevenu
normal.
Puisque nous venons d'évoquer un incident dans ma vie professionnelle,
combien de jours d'arrêt de maladie ai-je pris au cours de toutes mes
années de travail ? La réponse est : zéro. J'ai bien eu des
petits accidents, comme un doigt cassé à la suite d'une erreur de
manœuvre d'une vanne, mais tout au plus ai-je perdu quelques heures de
travail pour me faire soigner. Quand je faisais de la prospection
géophysique je me suis retrouvé un jour dans un état grippal qui me
faisait grelotter alors que j'avais le dos contre le radiateur. C'était
une journée d'écriture de compte-rendu, pas une journée de terrain,
alors j'ai préféré rentrer chez moi et rattraper mes heures de travail
le samedi suivant. Donc jamais d'arrêt de maladie dans toute ma
carrière. C'est comme ça, je ne dis pas que j'en suis fier.
J'ai surtout eu la chance de vivre dans une société développée, à
l'abri des famines et des conditions précaires. Je n'ai pas vécu dans
un logement insalubre, je n'ai pas manqué de soins ni d'instruction. Il
est bon de le rappeler.
Puisque dans cet ouvrage on parle beaucoup d'une vie professionnelle,
et comme j'ai atteint l'âge de la retraite, on peut se demander à
combien de métiers je me suis frotté. C'est une question à laquelle on
peut répondre, à la condition de bien définir ce qu'est un métier. En
Intérim j'ai certainement exercé plusieurs métiers ou occupé plusieurs
emplois chez le même employeur, à savoir la société de travail
temporaire. À l'inverse on peut changer d'employeur mais toujours
exercer le même métier. Si on bénéficie d'une promotion notre poste
peut s'enrichir d'une appellation plus clinquante, alors qu'on fait
toujours le même métier.
Le frère de Françoise, qui m'est très sympathique, a lui aussi préparé
un petit ouvrage, très bien écrit, où il raconte en particulier sa vie
professionnelle. Il l'a intitulé « Dix huit métiers (et autant de
galères) ». Ai-je égalé son record ? Pas sûr.
J'ai donc commencé par des petits travaux d'été, manutentionnaire chez
Rhodia à Vizille, puis tireur de câbles avec AMS pendant la
construction de l'hôpital. Un peu plus tard j'ai été monteur sur des
chantiers industriels avec la société Jullin, et magasinier chez SMII
qui vendait des tubes en inox. En même temps que Françoise j'ai été
sondeur pour une entreprise publicitaire et plongeur à Alpexpo et aux
Six Jours de Grenoble. Toujours pendant que j'étais étudiant j'ai
travaillé un été comme tourneur à la Viscose. Nous en arrivons à la fin
de mes années d'étudiant, avec déjà sept métiers différents. Ensuite,
après mon diplôme j'ai été ingénieur glaciologue auprès des Expéditions
Polaires Françaises. Puis il y a eu l'année en Australie, pendant
laquelle j'ai eu quelques indemnités pour une petite activité de
technicien de labo et aussi pour ma participation à une mission en
Antarctique. On en est à neuf métiers avant notre retour en France en
1983. Juste après j'ai été mécanicien ajusteur chez Neyrpic, et ensuite
il y a eu ce travail de chargé de mission pour l'étude bibliographique
de la glace de mer dans l'Arctique. J'ai ensuite enchaîné les missions
d'intérim, et j'ai été mécanicien d'entretien dans plusieurs
entreprises de la région, ouvrier de structure chimique chez
Rhône-Poulenc, ensacheur de produits chez Distugil, et aussi cariste
sur plusieurs sites. Ça fait quinze. J'ai un peu plus tard eu un
travail stable d'ingénieur climatologue, dans une structure qui
s'appelait A3 et plus tard S2A. Ensuite j'ai été ingénieur géophysicien
chez Cap Géophy. On arrive à dix-sept. J'ai de nouveau eu un trou dans
les emplois stables et j'ai repris les missions d'intérim, mais sans
occuper un nouveau métier, j'étais de nouveau mécanicien, monteur, ou
similaire. Pareil chez Prodys, la société de machines spéciales, où
j'étais encore mécanicien. Enfin il y a eu ce travail de technicien en
cryogénie pendant plus de vingt ans chez Air Liquide, ce qui fait que
nous en sommes à dix-huit métiers. On ne peut pas compter les cours
privés que je donnais à des lycéens, ni le travail de logisticien payé
au noir. L'emploi de consultant après ma retraite n'était pas différent
de celui de technicien cryogéniste et on ne le compte pas non plus,
tout comme mes activités occasionnelles de bricolage chez Médecins du
Monde à Grenoble. On reste donc à dix-huit métiers, et je suis bien
content d'être à égalité avec le frère de Françoise.
Après ces comptes d'apothicaire Il faut bien conclure ce petit ouvrage,
parce que je n'ai pas l'intention de rivaliser avec Tolstoï ou
Dostoïevski. Il y a un proverbe, Arabe dit-on, qui proclame que celui
qui voyage vit plusieurs vies. Les citations pour inciter au voyage
sont innombrables et, à ce propos, rares sont les écrivains qui n'en
ont pas pondu une. Je me contenterai ici de rappeler ce qu'a dit Ibn
Battuta, peut-être le plus grand voyageur de tous les temps :
« Voyager vous laisse d’abord sans voix, avant de vous transformer
en conteur ». Aurai-je un jour le talent de devenir un
conteur ?
Il se trouve que j'ai encore plusieurs projets de voyages
professionnels et, bien entendu, j'ai aussi des projets personnels.
Peut-être en parlerai-je un jour futur dans un autre opuscule.